Befana, la sorcière de Noël

Sylvi Belleau

d’après un conte traditionnel d’Italie – résumé par Janou Gagnon

 

À l’orée d’un petit village du sud de l’Italie, il y avait autrefois une ancienne maison où dormait paisiblement une vieille femme… 

Une nuit où elle rêvait à tous les mauvais tours qu’elle se proposait de faire en chevauchant son balai lors de sa tournée des Fêtes, on frappa avec insistance à sa porte. Exaspérée, Befana – c’est ainsi que s’appelait la vieille – décida de se lever. Elle se dirigea vers la porte qu’elle ouvrit lentement, et se trouva nez à nez avec trois personnages vêtus comme des princes des mille et une nuits.

    — Mais qui êtes-vous ? Quoi ! Les Rois mages ? Vous avez suivi une étoile et vous cherchez la ville de Bethléem ? Désolée, messieurs, je ne connais pas.

Befana referma vivement la porte. Mais à peine avait-elle de nouveau posé la tête sur l’oreiller qu’un rayon de lumière se faufila par l’embrasure de la fenêtre et vint danser sur ses paupières fermées. Bientôt, la chambre fut inondée d’une lumière éclatante…

     — Pas moyen de fermer l’œil avec cette étoile qui se prend pour un soleil ! Hé ! l’étoile, on t’a remarquée ! Pas la peine de faire étalage de ton kilowattage, il est 3 heures du matin et tu t’obstines à rester là, juste devant ma fenêtre ! Bon, j’ai compris : je ne dormirai pas cette nuit. Aussi bien me faire un thé santé !

Mais l’étoile n’avait aucune intention de s’éterniser. Une fois toute la maisonnée bien réveillée, l’effrontée reprit sa route. Intriguée, Befana décida de suivre l’exemple des Rois mages, pressant son vieux chat Belzébottine de surveiller la maison pendant son absence.

     — Fidèle balai, emmène-moi où l’étoile s’en va !

Très vite, l’étoile les sema. Et la vieille sorcière, après avoir menacé son balai incompétent de le remplacer par une balayeuse électrique, décida qu’elle débuterait son voyage par la France. Car en Alsace, on se préparait déjà à fêter la Saint-Nicolas.

« Tout plein d’étoiles se dirigent vers la cathédrale ! » constata-t-elle. En fait, ce n’étaient pas des étoiles que Befana voyait… c’étaient plutôt des lampions que les enfants avaient sculptés dans des navets et des pommes de terre pour la quête de la Saint-Nicolas, l’équivalent de notre « guignolée ». Déjà, au pied de la cathédrale, se tenait le Chriskindelmarikt, le marché de Noël où l’on pouvait acheter toutes sortes de bonnes choses : des pains sucrés, des brioches dorées, des bonshommes en pain d’épices, des saucisses salées pour la choucroute…

Befana n’aurait pu rêver meilleure occasion pour jouer un tour à ces beaux enfants aux yeux vifs et aux joues roses. « Déguisons-nous et glissons-nous parmi eux » se dit-elle, son esprit de vieille sorcière à l’affût.

     — Acabri, acabra, abracadabra ! Que tout ce qui entre dans les sacs se transforme. Que les chapons et les saucisses se changent en charbons ; les biscuits, les gâteaux et les bonbons, en tisons ardents ; les brioches et les macarons, en chardons bien piquants. 

À son grand désarroi, très vite, Befana entendit des cris joyeux venant des enfants :

     — Merci ! Merci ! Mille fois merci ! 

Les enfants sortaient de leurs sacs des cadeaux, des pièces d’or et d’argent, des jouets merveilleux ! Malgré tous ses efforts, malgré des incantations répétées, les cadeaux restèrent des cadeaux et Befana dut reconnaître que sans doute une foule d’enfants était un trop gros morceau auquel s’attaquer pour son premier tour de la saison. « Éloignons-nous de cette cathédrale, se dit-elle, ça fait de l’interférence de bonnes actions ! »

     — Acabri, acabra, abracadabra ! Balai, envolons-nous vers le Danemark, nous trouvons certainement une personne esseulée facile à ensorceler !

Par une fenêtre isolée, Befana aperçut près d’un feu de foyer un homme plutôt âgé, en train de bricoler avec du papier des étoiles, des guirlandes, des flocons de neige. Elle se rappela qu’au Danemark, c’est la tradition de fabriquer les décorations de Noël à la maison. 

     — Acabri, acabra, abracadabra ! Que tout ce qu’il touche lui colle au bout des doigts. 

Imaginez ! L’homme attrapa une feuille de papier pour la couper. Elle resta collée à ses doigts. Puis ce fut le tour des ciseaux ! Essayant de rattraper ses lunettes qui glissaient sur son nez, l’homme perdit l’équilibre et tomba sur le plancher où ses mains restèrent collées.

Mais la fierté de Befana d’avoir inventé un si beau tour ne fut que de courte durée. L’homme riait de joie, car le papier qui devait rester collé à ses doigts s’était transformé en véritable dentelle ; son petit cœur de papier tressé, en beau panier qui ferait la joie des enfants. Elle avait devant elle un homme heureux, fier d’avoir inventé les plus jolies décorations du monde pour son arbre de Noël ! Décidément, les pouvoirs de Befana semblaient rouillés…

     — Balai, à mes pieds ! Direction la Suède où, le 13 décembre, on fête la longue nuit de la Sainte-Lucie. C’est une belle occasion pour faire un mauvais tour de magie, car ils réussissent toujours mieux la nuit ! Acabri, acabra, abracadabra ! Fidèle balai, allons-y !

La rusée Befana se déguisa en jeune fille tout de blanc vêtue, convaincue qu’elle serait à même de réussir son plus beau tour de l’année. Elle connaissait bien la tradition : en Suède, le matin de la Sainte-Lucie, alors que le soleil se fait attendre jusqu’à midi, la jeune fille de la maison apporte le petit-déjeuner au lit à ses parents et aux autres membres de sa famille. Le bon déroulement de cette coutume est le présage d’une bonne année.

     — Je vais perturber cet événement heureux. Acabri, acabra, abracadabra ! Que le déjeuner soit un véritable dégât ! Que se renversent les confitures ; que le pain soit trop dur ; le chocolat, amer ; le café, trop brûlant ; que le sucre soit du sel ; et la crème, sûre !

Loin des plaintes attendues, ce sont des remerciements qui fusèrent de chacune des chambres de la maison ! Quel déshonneur pour une sorcière ! Encore un tour raté ! Elle se dit que sa magie noire avait disparu et que c’était à cause de cette étoile ! Il lui fallait partir de là, aller en Allemagne trouver son cousin de la Forêt-Noire, le terrible Hans Trapp, spécialiste en magie noire.

     — Acabri, acabra, abracadabra ! Forêt-Noire, nous voilà !

Son cousin n’étant pas là, Befana décida de lui laisser une note et un bouquet de ses fleurs préférées. Elle reviendrait le voir plus tard.

     — Qu’est-ce que c’est que ça ? Une lettre… pour moi ? Qui peut bien m’écrire ? Befana ! Ah, oui ! ma petite cousine, la sorcière d’Italie ! Que me veut-elle ?

Cher cousin Hans, j’ai un grave problème de magie. Tous les mauvais tours que j’ai voulu jouer lors de ma mauvaise tournée annuelle se sont soldés par des échecs lamentables ! Je ne fais plus de la magie noire, mais de la magie blanche ! Tout ce que je touche se transforme en cadeaux merveilleux. J’améliore le sort des gens au lieu de leur rendre la vie infernale. Au début, j’ai cru que mes batteries de malice étaient à plat mais, bien au contraire, elles sont chargées à bloc. Mes pouvoirs magiques font tout le contraire de ce que je leur demande. Aidez-moi ! Je ne sais plus quoi faire ! Votre cousine mal-élevée préférée. Befana

P.-S. : Je vous offre un bouquet de vos fleurs préférées.

     — Quoi ! Des fleurs des champs ? Pour qui me prend-elle ? Un rêveur ? Un poète ? Un prince charmant ? Moi, je suis le noir, le terrible Hans Trapp !

Il fallut à Befana bien du doigté pour apaiser le courroux de son terrifiant cousin. Puis, ensemble, ils ont cherché, mais n’ont rien trouvé : pas de fuite de pouvoirs magiques, pas de formules mal prononcées, pas d’interférence de bonnes pensées. Chaque fois que Befana demandait des chardons, ce sont des fleurs des champs qui apparaissaient. Elle transformait des crapauds en princes charmants ; des serpents, en perles et rubans. À bout d’arguments, Hans Trapp conseilla à Befana d’annuler sa tournée, de rentrer chez elle et d’aller se reposer.

     — Quoi ? Aller me reposer ! Mais la véritable responsable, c’est cette étoile qui m’a réveillée en plein milieu de la nuit. Elle a détraqué tous mes pouvoirs de magie ! Ah ! si je pouvais la retrouver… Acabri, acabra, abracadabra ! Balai, on rentre à la maison !

Sur le chemin du retour, épuisée et l’âme pleine de dépit, le vieille sorcière s’endormit sur son balai. Il y eut une terrible collision… avec une étoile en carton ! Befana tomba sous le charme de ce qu’elle découvrit : un petit enfant couché sur la paille entouré de sa maman et de son papa ; d’un âne, d’un bœuf, de bergers ; et même de trois rois comme ceux qui l’avaient réveillée. Les gens du village étaient là aussi, réunis pour célébrer l’enfant nouveau-né. Befana se dit : « Je me demande ce qui arriverait si… »

     — Acabri, acabra, abracadabra ! Que tous ces petits personnages aient une voix !

Aussitôt, des voix graciles se firent entendre, celles de centaines de santons de Provence. « C’est donc vrai, cette histoire d’étoile ? » Befana n’avait dorénavant plus qu’une envie : trouver cet enfant merveilleux et lui préparer de bons gâteaux.

     — Acabri, acabra, abracadabra ! Que mon panier soit plein de petits pains !

Le pouvoir magique de Befana était revenu, car son panier regorgea sur-le-champ de beaux biscuits ! Et elle partit avec son balai à la recherche de l’Enfant. Depuis, Befana se glisse la veille de Noël dans les maisons endormies et les souliers des petits, laissant ses gâteaux et ses biscuits. Dans ses efforts pour aller au-devant du petit roi, elle en a trouvé des milliers. En Italie et dans le monde entier, elle laisse un cadeau dans chaque soulier. Car on ne sait jamais : « Et si c’était Lui ! »

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