Marie-Francine Hébert : auteure, témoin et un peu plus que cela

Marie-Francine Hébert, vous signez chez Planète rebelle un album intitulé Minou, minou où vous nous livrez une histoire qui vous tient particulièrement à cœur…
Pouvez-vous nous raconter comment sont venues l’inspiration et l’envie d’écrire cette histoire ?

Tout l’esprit de cet album est contenu dans la dédicace :
« En souvenir de Raoul, le plus-que-chat qui a partagé notre vie pendant plus de 20 ans. »
Et c’est signé : Marie-Francine et Lou.
La mère et la fille, en l’occurrence.
Dans ma famille, on n’aimait pas les animaux, en général, et les chats, en particulier. L’idée d’en adopter un ne m’est pas venue spontanément. Ma fréquentation des animaux se résumait à les mettre en scène dans des scénarios ou des livres pour enfants. C’est ma fille de sept ans qui a insisté pour qu’on accueille le chat dont il est question dans Minou, minou. J’ai fini par accepter après avoir obtenu d’elle la promesse solennelle d’en prendre soin. Elle le nomma Raoul, mais nous l’avons toujours appelé Minou.
Je suis donc devenue le témoin privilégié de l’histoire d’amour entre un petit chat abandonné tout nu dans la rue et une petite fille choyée par la vie.

J’étais loin d’imaginer l’importance que cela aurait dans la vie de ma fille et, par conséquent, dans la mienne. Encore moins que j’écrirais, un jour, un texte avec Minou comme narrateur. Mais en y repensant, c’est lui qui, au départ, s’est engagé le plus à fond dans cette relation.
« J’ai promis, ce jour-là, de l’aimer toujours.
Et si, de nous deux, c’était moi qui devais l’aimer le plus.
Mon désir serait de l’aimer encore davantage. »

Nous avons souvent eu l’impression qu’il était plus qu’un chat.
« Un chat, un oiseau, une souris, un chien, un ami,
j’étais tout cela pour elle.
Sans rien attendre en retour. »
Combien de fois l’a-t-il fait sourire en se mettant à pépier comme un oiseau ou fait rire aux éclats en jouant avec des souris imaginaires !
Combien de fois lui a-t-il tenu (littéralement) la main alors qu’elle était triste ou souffrante !
« Elle savait que ses chagrins, petits ou gros,
seraient pris au sérieux.
C’est en pleurant qu’elle appuyait sa tête
contre mon cœur.
Mon cœur qui ne battait que pour elle :
Je suis là. Je suis là. »

Bien sûr, il a vieilli et ses capacités ont peu à peu diminué. À son tour, il a eu besoin que cette petite fille devenue grande l’aime très fort, sans rien attendre en retour. Jusqu’à la fin.
« Elle me serra plus fort que d’habitude dans ses bras.
Elle avait le cœur si gros que je l’entendais battre sous sa robe.
Son cœur qui ne battait que pour moi :
Je suis là. Je suis là. »
Son départ a causé un grand chagrin à la maîtresse de son cœur. Je n’ai pas, non plus, été épargnée.
J’ai écrit Minou, minou pour tenter de la consoler, elle, et moi aussi, par la même occasion.
Lou et moi avions vaguement parlé d’en faire un livre. Il a fallu des années avant d’en avoir l’occasion, le recul et la sérénité nécessaires.

Comment avez-vous abordé l’écriture de ce récit de vie, de la naissance jusqu’à la mort, pour le jeune public ?

J’écris d’instinct et c’est souvent après coup ou par l’entremise de lecteurs que je découvre la teneur d’un texte.
Certains y voient, en effet, une illustration du cycle de la vie : on naît, on est aimé ou pas, on aime ou pas et puis on meurt. D’autres, une allusion à la relation parents-enfants qui s’inverse, parfois, alors que les enfants doivent prendre soin de leurs parents. Pour d’autres encore, il évoque l’adoption et le respect de la différence…
En ce qui me concerne, je voulais seulement raconter une belle histoire d’amour. Inattendue. Où le plus petit, le plus humble sert d’exemple au plus grand. Seulement dire que l’amour est parfois là, tout près ; qu’il suffit d’ouvrir son cœur pour le reconnaître. Finalement, qu’il n’y a pas une seule façon d’aimer; que l’important est de faire de son mieux « et ron et ron petit patapon », comme dirait Minou.

Pensiez-vous dès le départ aux enfants âgés de 5 à 7 ans ?

L’idée de permettre à de jeunes enfants d’avoir accès à cet album à partir de 5-7 ans nous est venue au moment de sa réalisation. N’était-ce pas l’âge que Lou avait lorsque nous avons adopté Minou ? Un âge où les enfants ont une grande capacité d’amour ?

Lorsque vous écrivez, comment se manifeste votre plaisir des mots, de la mélodie, du rythme et de la sonorité du texte ?

Le choix du niveau de langue du chat dans Minou, minou n’a pas été facile. J’ai remanié le texte plusieurs fois avant de trouver le ton approprié. Ni trop familier ni trop littéraire. Qui témoignerait, surtout, de la perception que nous avions de lui : un chat avec une sensibilité et une vision de la vie peu communes.

Je prête une grande attention au rythme et à la sonorité d’un texte. Une fois celui-ci débusqué, je m’amuse à en écrire la partition. Je le relis à haute voix et le retravaille jusqu’à ce que j’entende la musique particulière que chaque histoire éveille en moi. Le texte doit, tour à tour, chanter, danser, chuchoter, se taire même… Tout cela repose sur la longueur des phrases (à un mot près) sur l’agencement des mots (à une syllabe près), sur les assonances (à une voyelle et une consonne près). Une fois le texte imprimé, des dissonances me sautent encore aux yeux et je me promets de faire mieux la prochaine fois

Parlez-nous de votre complicité avec l’illustratrice…
Il y a une grande complicité entre nous. Quand nous travaillions ensemble, la relation mère-fille s’estompe. Nous ne sommes plus qu’une illustratrice et une auteure penchées sur un projet commun. Nous avons une grande confiance dans le jugement de l’autre et ne le prenons jamais personnellement.

… et de la qualité exceptionnelle de son travail…

Lou a le don de mettre en évidence des aspects de l’histoire dont l’auteur ignorait l’existence. J’attends d’un illustrateur que l’image ne soit pas en deçà du texte, ni ne l’écrase, mais qu’il l’éclaire. Lou y parvient admirablement bien. Et puis, j’aime son style qui s’apparente à la peinture. Jamais d’images trop léchées, pas de couleurs en aplats faites à l’ordinateur où rien ne dépasse. On sent la main de l’artiste et cela, conjugué à sa palette de couleurs, confère une grande tendresse à ses illustrations. Elle a un style bien à elle, en dehors des modes.

Vous semblez connaitre les chats, vous rendez hommage à celui avec lequel vous avez vécu.
Quel message aimeriez-vous passer aux enfants qui vivent avec un animal, un compagnon de vie ?

Je ne connais pas bien les chats ; j’ai connu ce chat-là, en particulier. Je crois néanmoins que la plupart des animaux de compagnie ont, comme les êtres humains, des antennes invisibles très sensibles à la façon dont ils sont traités.

Propos recueillis le 20 février 2012.

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